J’ai trouvé cette photographie de 1903, dans le feuillet central dans la biographie d’Oszkár Jászi écrite en 2006, par György Litván1 :

Je reconnais bien, au centre, avachie, l’étrange mère de Karl Polanyi, Cecilia Wohl, et je suppose que le père (Mihály) se trouve à ses côtés, en noir. A droite, je crois reconnaitre Oszkár Jászi et à l’extrême droite de la photo, Ervin Szabó. Je ne sais pas laquelle des femmes est Anna Lesznai dont parle la légende de la photographie, mais je ne pense pas qu’elle soit importante, du moins je ne l’ai jamais croisée lors de mes lectures. Enfin, je ne sais pas non plus lequel des six autres hommes, se trouve être Rusztem Vámbery (1872-1948).

Je me demande, en revanche, qui est la personne au-dessus des deux jeunes hommes qui fréquentent ce salon, debout à droite. Il semble qu’il porte un turban, or je ne vois pas ce qu’il ferait là à Budapest au XXe siècle, car je ne pense pas que des Juifs hongrois portaient des turbans de ce style. Est-ce tout simplement Armin Vámbery (1832-1913, le père du (futur) juge, politicien et ambassadeur Rusztem Vámbery) ? Cet orientaliste a voyagé pendant des mois en se faisant passer pour un derviche sunnite du nom de Reshit Efendi2, alors habillé à la façon ottomane ? Ou Rusztem accoutré comme son père ? Serait-il un gourou quelconque ou un Dönme, lointain descendant des adeptes de Jacob Frank ?

Ce genre de questions, couplé au mystère qui me semble environner le texte sur Hamlet (1947-1964) et le possible refus de Karl de “venger son père”, me pousse à faire des recherches sur la famille de Karl Polanyi en essayant non seulement de remonter à la génération précédente dans les familles de Mihály Pollacsek et Cecilia Wohl, mais jusqu’à Enoch Pollacsek au XVIIIème siècle du côté du père, en Slovaquie, et à Osher Leyzerovich Vol du côté de la mère, qui habitait à Vilnius, en Lituanie où il était rabbin. Si on suit la piste des Dönme, je ne sais pas si ces familles étaient liées de près ou de loin à des sectes sabbatéennes. De même pour ces familles aisées qui vivaient en Europe centrale, je ne sais pas si elles ont pu être frankistes, ou pas, Brno, où a vécu le faux-messie et faux chrétien Jacob Frank, n’étant pas très loin de Wien ou Budapest. Malheureusement, les pistes sont assez difficiles à remonter, même pour des spécialistes comme Gershom Scholem3… Concernant Karl Polanyi, cette appartenance occulte pourrait expliquer quelques zones d’ombres chez lui, l’insincérité reconnue par de nombreux commentateurs entre son existence et ses textes, et éventuellement une rupture dans les années 1940. Le travail historique est long, et il faudra du temps entre le questionnement et les archives qui permettront de falisfier ou non ce genre d’hypothèses.

Notes

  1. A Twentieth-Century Prophet: Oscar Jászi. 1875-1957, tr. ang. Tim Wilkinson, Central European Budapest / University Press New Press, 535 p.
  2. Le “maître de l’époque” (de l’âge) si j’en comprends la traduction. Etait-il un gourou-aventurier à la façon d’un Mitrinović, Gurdjieff, voire d’un Steiner ? A-t-il pensé à lui en 1957 lorsqu’il a découvert le poème “Entschluss” de Hegel dans le livre de son ami d’enfance, György Lukács, et que celui-ci l’a touché qui parle de ne pas essayer d’être meilleur que le temps ou que l’époque ?
  3. Cf. notamment l’exemple du natif de Brno, Moses Dobruška, dans Du frankisme au jacobinisme. Moses Dobruška alias Franz Thomas von Schönfeld alias Junius Frey.

Une pensée sur “Une photo du salon de Cecil Pollacsek en 1903”

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