« Le roi est mort, vive le roi ! » [p. 92] II me semblait bien que cette formule proclamée à la mort d’un monarque, était purement française. Bizarre qu’un Anglais la prononce à la mort du vieil Hamlet dans une pièce du XVIème siècle. Ce fut la goutte qui fit déborder le doute lorsque je lisai ce livre dont je ne savais rien et que j’avais découvert dans au rayon théâtre de la bibliothèque municipale de ma ville, au côté des pièces de Shakespeare.

Avant cela, il y avait eu un Hamlet qui se travestit (hohoho, comme c’est iconoclaste !), des scènes de sexes sur la scène (plausible au XVIème mais ici outrancier !), un roi qui regarde les ébats adultérins de sa femme et de son frère par les yeux de Jésus sur la croix (humour scandaleux pour choquer le bigot ou pour épater le libre-penseur du XXe siècle, mais qui est si éculé au XXIème qu’il ne produit qu’un même bâillement fraternel chez l’un et l’autre), un Hamlet et un Horatio homosexuels (tous à la Gay Pride !) et qui doutent, nous apprend leur maître à Wittemberg, de la véracité des Évangiles, tenant des propos que Mordillat et Prieur auraient pu écrire dans leurs livres (blague d’intellectuel vaniteux qui ne peut s’empêcher de pouffer de rire en surjouant sa farce)…

Bref, bien que tentant de reproduire le théâtre sulfureux et tapageur de l’époque, même pas de démythifier la pièce sinon de lui redonner sa coloration d’antan, tout cela était néanmoins trop à la mode pour être vrai. J’attendais donc que Laërte aille sauver des migrants français dans la Manche et que Claudius ait caché des juifs dans sa cave pour les sauver de la Norvège cryptonazie, ça fleurait le faux à des lieues à la ronde et j’arrêtai de lire dès la page 92, donc, en lisant cette formule, pour aller voir sur Internet ce qu’on disait de ça. Et je n’ai eu que confirmation de cette supercherie borgésienne mal maîtrisée :

Et je dois dire que la blague ne m’a pas fait rire, bien que j’aime Borges et le lise régulièrement, nouvelle par nouvelle, comme des petites tartines gourmandes entre deux, trois, quatre lectures orientées dans un but précis. Ce genre de procédé peut être efficace s’il y a du fond derrière, si le faux dit le vrai en mentant, savante folie du bouffon sauvant le Royaume par ses faux mensonges.1

Ou si une répression politique empêche les gens de dire explicitement ce qu’ils pensent d’un sujet et doivent biaiser pour le faire. Ici, ça n’est qu’un jeu de piètre qualité, se moquant de la confiance des lecteurs qui l’accordent conjointement à un éditeur et à un auteur soi-disant sérieux et, puisque le faux est grossier, dans tous les sens du terme, un projet raté. C’est peu étonnant de la part de Grasset où sévit un petit marquis ridicule et menteur professionnel dont le vrai peuple se moque, lui et sa grotesque compagne, bien que tous les media leur déroulent le tapis rouge. La seule question qui reste de cette fantaisie bébête : jusqu’où nous mentent-ils ?

De fait, je rendrai le livre à la bibliothèque où je l’ai emprunté sans perdre plus de temps avec ces enfantillages puisqu’il me reste Les années de voyage de Wilhelm Meister, de Goethe, à terminer. Puis ses deux Faust et les textes qui fonctionnent comme des extensions des Années de voyage…2, puis Le serpent vert et son décodage par Rudolf Steiner. Tout cela pour comprendre qui est Goethe et ce qu’il a pu vouloir dire entre les lignes par le biais de la fiction, lui qui introduit le Hamlet de Shakespeare dans le premier volume des aventures de Wilhelm Meister, le chef de troupe3 en prenant connaissance par un mystérieux personnage, Jarno, qui s’avérera être le membre d’une société secrète qui observait de près (contrôlait ?) la vie du marchand amateur de théâtre. Tout cela pour essayer de comprendre qui est Shakespeare, ce que dit Hamlet, et ce qu’aurait pu éventuellement dire Polanyi en 1954 dans sa propre analyse de la pièce, dans l’hypothèse qu’il faille y lire un message entre les lignes et compréhensible par ceux qui ont le décodeur.

Beaucoup de temps encore à y passer et aucun à perdre avec des bêtises pareilles, qui déconsidèrent rétrospectivement ce que j’avais pu lire de cet auteur (en compagnie de Jérôme Prieur) sur la Bible. Surtout que du mystère, le monde en regorge. Pas besoin d’en rajouter une couche, surtout si elle est de si mauvaise qualité.

Bonus : et si Molière n’était pas l’auteur de ses pièces ?

Du mystère, des textes apocryphes, du mensonge, de la légende, des doutes, tout ça en vrai et sans qu’on ait besoin d’inventer quoi que ce soit…

« Au coeur de l’Histoire » : L’affaire Corneille-Molière [2011]

[J’avais initialement intégré un épisode de l’émission « L’ombre d’un doute », elle aussi animée par Frank Ferrand et diffusée la première fois en 2013, mais l’émission a disparu de Youtube…]

Photo d’entête : “95730004” par vulvic.

Notes

  1. Quand, dans les Fictions, pour revenir sur un exemple dont se sert Mordillat dans l’extrait de l’émission télévisée, Borges imagine un Pierre Ménard réécrivant, au XXe siècle et à l’identique, le Quijote de Cervantès, l’idée n’est pas dans la prouesse de la réécriture ou sur le miracle qu’elle constituerait, comme lui-même semble très fier de son pastiche raté. C’est au contraire, une réflexion de linguiste sur le sens des mots en leur contexte, sur le métatexte eût glosé un Gérard Genette, et sur le fait que les deux textes quoique formellement similaires à la virgule près, seraient pourtant différents, puisque c’est quelque chose d’écrire le Quijote au XVIème siècle en espagnol et en Espagne, et autre chose que d’écrire ce texte-là au XXe. Même en admettant que le Quijote n’ait pas vu le jour au XVIème siècle, mais qu’il ait attendu dans une alcôve de l’Histoire que Pierre Ménard naisse et soit en âge de l’écrire, pour être couché sur le papier par lui, écrire le Quijote au XXe siècle, ce n’est pas écrire un texte novateur que des lecteurs ayant connu les romans de chevalerie peuvent goûter à sa pleine mesure, mais un texte savamment suranné à l’imitation des Anciens, dans une langue étrangère et loin du « monde » où cette œuvre d’art a vu le jour (et où, selon Heidegger, seul elle pouvait voir le jour). La démarche de Mordillat et celle que présente Borges dans sa nouvelle publiée dans les Fictions, n’ont rien à voir. On pourra même se demander après Borges, si lire « Pierre Ménard auteur du Quichotte » en 2018, c’est la même chose que de lire “Pierre Menard, autor del Quijote” en 1944, et si chaque lecture ne multiplie pas à l’infini les textes, comme les miroirs multiplient les êtres sur Terre, du moins c’est ce qu’on dit à Tlön…
  2. A savoir : « Propos du voyageur » et les « Archives de Macarie » dans les Maximes et réflexions.
  3. Personnage qui ressemble beaucoup à Molière d’avant 1658 et le “miracle de Rouen” : avant un arrêt incompréhensible de la troupe de Jean-Baptiste Poquelin pendant six mois à Rouen (ils rejoignaient officiellement Paris), le fils d’un riche tapissier, acteur puis chef de troupe n’a rien écrit lui-même. A Rouen se trouve Pierre Corneille, auteur d’un Cid si couronné de succès que le public l’a enfermé dans un rôle d’auteur de tragédie lui interdisant d’écrire des comédies. Partant de Rouen, Molière écrira les comédies que tout le monde connaît… Voire, Wilhelm ressemble aussi à William Shakespeare lui-même, partageant plus que le prénom. A se demander si le Goethe de la « langue de Goethe » ne nous dit pas que le Molière de la « langue de Molière » et le Shakespeare de la « langue de Shakespeare », ne sont pas toutes les trois des personnages aussi fictifs que ne l’est le Christian Rosenkreutz des Rose-Croix, le Jakob Böhme des premiers théosophes ou tous les autres auteurs “collectifs”… jusqu’à Botul, que connaissent bien les éminences grises de chez Grasset !

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