Non pas l’emblème de l’Autriche-Hongrie mais celui (très Europe orientale) de l’OTS

C’est en voyant un reportage sur l’histoire de l’Ordre du Temple Solaire1, que je fus frappé par la ressemblance entre cette organisation ésotérique, vague copie du début du XXe siècle de la séculaire falsification rosicrucienne teintée de science-fiction2, avec une autre copie rosicrucienne teintée d’hindouisme du début du même siècle : la Société Anthroposophique de Rudolf Steiner. Notamment en voyant Luc Jouret, charlatan charismatique au regard brillant, mêler dans son discours des considérations fumeuses sur l’alimentation, un peu de Christianisme pour rassurer les fidèles avec des éléments connus, de la chevalerie pour flatter l’aspiration à l’héroïsme et la ferveur fraternelle de l’esprit martial, des syncrétismes orientaux et des histoires de migrations des âmes et de voyages sur Sirius, toute chose que j’ai lues chez Steiner3.

La première vidéo aborde plus l’aspect ‘religieux’ de l’organisation :

Le reportage d’Yves Boisset, sorti en 2005, revient quant à lui sur le côté qui m’a le plus intéressé dans cette lugubre histoire : la connexion avec le monde politique.

Copie d’écran d’un reportage pour l’émission Secrets d’actualité, diffusé le 12.06.2005 sur M6, 33:45

Si je comprends l’affaire en substance, un escroc médical sans relief et un autre petit escroc proche tant des milieux ésotériques que des officines illégales d’un des grands partis de gouvernement français (ou un réseau gravitant autour de ce parti), sont mis en relation pour créer une secte ayant pour but d’amasser beaucoup d’argent. L’affaire ayant réussi, les deux gourous prennent leur part du magot pour en profiter joyeusement en se rémunérant en femmes, voyages et autres plaisirs terrestres. La secte doit aussi servir à du blanchiment d’argent via des opérations immobilières, peut-être le financement du parti lui-même ou des réseaux de corruptions proches de gens comme M. Charles Pasqua et Didier Schuller. Puis les gourous sont lâchés par leurs commanditaires quand le projet semble péricliter et que les membres menacent de vouloir reprendre leur argent, et/ou que les membres en savent trop sur les transferts d’argent illégaux. Tout le groupe, qui était infiltré par la police sans doute pour le surveiller, est assassiné à trois endroits différents.

L’arbre de vie kabbalistique avec le nom des 10 Sephiroth et les 22 chemins en hébreu, d’après Azriel de Gérone.

Y compris, donc, les gourous – pions qui se croyaient plus malins que la base mais qui n’étaient pas assez haut dans la pyramide pour échapper – et les deux policiers, ce qui est plus étrange – peut-être eux aussi en savaient trop sur les affaires de ces gens qui dirigeaient le pays. Mais réchappe, en revanche, un troisième gourou qui n’avait pas été convié à aucun des trois soirs de massacre. Etait-il l’idiot utile qui ne savait rien de la partie “politique” et qui devait survivre pour que l’opinion publique ait un bouc émissaire ? Est-il le manipulateur qui devait emporter l’argent ? (Qui n’a pas été retrouvé) Toujours est-il que couverte par d’autres réseaux politico-ésotériques de plus grande ampleur, l’enquête est sabordée et bâclée par la “justice” suisse et l’attention des gens renvoyée à d’autres choses.

Dans le cas de Steiner, il était un pauvre provincial (donc sans appuis familiaux et peu protégé une fois initié et mouillé dans des projets, en cas de problème), mais ambitieux, et dont ses frères francs-maçons allemands avaient dû repérer le bagout et lui confier à peu près la même mission que Luc Jouret et di Mambro. Mais celui-ci n’est pas mort suicidassassiné et il semble y avoir eu des scissions dans les réseaux opaques derrière la Société théosophique et Steiner, vers 1912, conduisant celui-ci à se cantonner au monde germanophone quand les théosophes restaient dans le monde anglo-saxon. Jusqu’à sa mort en 1925, il a le temps de développer, lui aussi, plein de projets qui vont dans tous les sens, financés sans doute aussi par les adeptes, et là encore, outre le fatras religieux, le messianisme et l’eschatologie (qui n’est pas apocalyptique chez Steiner), on attire les membres avec de la médecine alternative, et l’agriculture bio. Peut-être que Tabachnik devait aussi apporter une ligne artistique à l’OTS, comme Steiner avait développé – quand il ne s’occupait pas d’architecture, des abeilles et du karma des mouches, de l’amour, de socialisme de guilde, d’Histoire mondiale et de la venue des extraterrestres pour la nouvelle ère du Verseau – quel domaine ignorait-il ? – l’eurythmie.

Copie d’écran des “Mystères sanglants de l’OTS” (France 2, 02.02.2006), 09:04

Michel Tabachnik, néanmoins, est fils d’un juif mystique converti au Christianisme et qui ayant hérité de la bibliothèque de son père, a écrit « les Archées », qui ont semble-t-il servis de texte(s) théorique(s) au groupe. Pour le peu qu’on en voit dans les reportages4, il(s) est/sont bien empreint(s) de Kabbale… Quelque chose à voir le Frankisme du XVIIIème siècle qui aurait perduré dans des réseaux marranes et connectés avec des réseaux mafio-politiques destinés à propager le mal jusqu’à forcer le Massiah de revenir ?

On note aussi que les deux groupes sont organisés en grades et loges, comme la Franc-Maçonnerie, et que celle-ci ne doit pas être trop loin de l’affaire, notamment du côté judiciaire pour laisser cette créature de quelques de leurs frères, tranquille.

Mais je n’ai rien lu sur l’incendie du Goetheanum à Dornach, en 1923, qui ressemblerait à une tentative de meurtre des adeptes ou du gourou lui-même. Evidemment, comme pour l’OTS, les polices suisse et allemande devaient garder un œil sur le mouvement, et ne devait gêner personne, voire servir à quelque chose de l’ordre de la manipulation mentale, de magouilles financières, etc. sans quoi il aurait été interdit ou on se serait chargé de le détruire d’une façon ou d’une autre. De  toute façon, avec l’anthroposophie, là encore, on trouve une connexion globale, un nœud entre politique, économique et religieux, lorsque Steiner, encore théosophe, est en Angleterre, proche de Helena Blavatsky et de la Société Fabienne, elle aussi au carrefour du politique, de l’occulte et de l’université.

Cela dit, je n’ai pas la prétention de savoir ce qui s’est passé pour l’OTS, et ai encore moins d’informations sur le fonctionnement exact de la société anthroposophique, notamment sur le volet financier. Mais comme l’historien Collingwood proposait d’effectuer des analogies entre des gens du présent pour comprendre ceux du passé, ici une secte germanophone fâchée avec sa maison-mère anglo-saxonne, là une secte francophone (Suisse, France, Canada), l’OTS permet sans doute de comprendre l’autre. Mais quel lien Karl Polanyi avait-il avec Steiner ?

Photo d’entête : « Ossuaire et nécropole de Douaumont » par Dominique Salé.

Notes

  1. J’avoue que c’est surtout lorsque j’ai vu le passage où est montré le livre L’Homme solaire, que j’ai eu un flash et me suis rappelé le design typiquement kitsch des Editions Anthroposophiques ou Dervy
  2. Dans Dune de Frank Herbert, c’est avec des épices qu’on peut courber l’espace-temps et voyager dans l’hyperespace, Jo di Mambro et Luc Jouret devaient sans doute se servir de quelques épices modernes pour faire croire à leur adaptes que leurs âmes allaient rejoindre Jupiter ou Vénus une fois débarrassées de leur corps charnels…
  3. Je n’ai pas tout lu, cela dit, mais suffisamment, cependant, notamment tout ce qui a trait au Christianisme et au socialisme de guilde, c’est-à-dire tout ce que je venais voir en fonction de ce que j’avais du côté de Polanyi.
  4. Et je ne sais pas où on peut se procurer une copie des écrits ésotériques de Takabbalchnik… pardon, elle était facile, mais à bon entendeur si quelqu’un sait.

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