Faut-il croire au déterminisme économique ?

From Karl Polanyi
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Texte en anglais à traduire en français

[526] Les activités quotidiennes des hommes et des femmes sont par nature liées à la production de biens matériels. Puisque, en général, les motivations exclusives de toutes ces activités sont la peur de la famine ou l’appât du gain, celles-ci, désormais qualifiées « d’économiques », sont isolées des autres motivations et considérées comme les incitations normales de l’homme dans ses activités quotidiennes. Toutes les autres incitations, comme le sens de l’honneur, la fierté, la solidarité, le sens civique, le devoir moral, et un simple sens des convenances, sont désormais considérées comme des motivations sans relation avec la vie quotidienne, mais d’une nature rare et plus ésotérique, celles-ci étant résumées de façon fatidique par le terme « idéal ». Ainsi, on croyait que l’homme avait deux composantes : une part de lui apparentée à la faim et au gain, l’autre à la piété, au devoir et à l’honneur. La première partie est considérée comme « matérielle », l’autre comme « idéale ». Les activités productives sont définitivement liées à l’aspect matériel. Il en résulte une moralité matérialiste puisque l’homme est totalement dépendant de ses moyens de subsistance.

Toutes les tentatives visant à la corriger en pratique étaient vouées à l’échec, puisqu’elles prenaient alors la forme de la défense d’une moralité tout aussi irréelle et « idéaliste ». Là est la source de ce divorce fatal entre le matériel et l’idéal, lequel est le cœur de toute notre anthropologie pratique : au lieu de postuler l’existence de « motivations imbriquées » qui mettent l’homme en accord avec lui-même, on a hypostasié comme incontestable sa division entre un prétendu homme « matériel » et un prétendu homme « idéal ». Le dualisme paulinien entre la chair et l’esprit n’était qu’une suggestion d’anthropologie théologique et n’avait que peu de rapport avec le matérialisme. Dans l’économie de marché, la société elle-même était organisée selon un principe de dualité, avec la vie quotidienne du côté du matériel et le dimanche consacré à l’idéal.

Or, si cette définition de l’homme était vraie, toute société devrait posséder un système économique séparé, fondé sur des « motivations économiques », comme il existait dans la société du XIXe siècle. C’est la raison pour laquelle la vision marchande de l’homme est également une vision marchande de la société.

Informations sur le texte

Référence :
Publication originale : “On belief on economic determinism”, The Sociological Review, vol. 39, n°2, janvier 1947, p. 103-112
AKP : 35/08 (17 p., copy of the original)
Publication récente en français : chap. 38 des Essais de Karl Polanyi, p. 521-528

Lge Nom
DE Über den Glauben an den ökonomischen Determinismus